Il y a un an, la République française sortait d’une élection présidentielle (23 avr. 2017 – 7 mai 2017) marquée par la question controversée de la laïcité et précédée d’une période de fortes tensions sur le sujet toujours plus délicat de l’islam.
En ce début d’année, l’on peut lire partout dans la presse qu’à son tour, le nouveau Président de la République, Emmanuel Macron, veut réorganiser le culte musulman de France. C’est du moins ce qu’il a récemment indiqué, le 11 février 2018, en annonçant lors d’une interview pour le JDD (Journal du Dimanche) vouloir, pour le premier semestre 2018, « poser les jalons » qui permettront d’une part de réformer le CFCM (Conseil Français du Culte Musulman) mais également de faire « intervenir » le gouvernement dans la formation des imams.
« Réformer l’islam de France » ; voilà qui fait à présent la Une de la presse française ! Le jour même, une journaliste de Libération pose la question entre réforme et révolution dans un article intitulé « Réforme de l’islam ». Le Monde, quant à lui, titre sa Une politique « Emmanuel Macron se lance dans la réforme de l’islam de France ». Celles de Sud Ouest et de France Info ne dérogent pas à la règle : « Emmanuel Macron veut réformer l’islam de France d’ici la fin du semestre » annonce la première là où la seconde souligne « Emmanuel Macron travaille à une réforme de “l’islam de France” pour le premier semestre ». Le 12 février 2018, le journal online Oumma, traitant l’actualité d’un point de vu musulman, s’inquiète d’une « macronisation de l’islam hexagonal (…) en marche… » dans son article « Emmanuel Macron, ou la réforme en marche de l’islam de France ».
Alors que jusqu’aux résultats des élections Emmanuel Macron parlait de la laïcité avec assurance, l’émergence d’une possible crainte sur le sujet est à interroger aujourd’hui. En effet, on peut lire dans « Emmanuel Macron ne prononcera pas de discours sur la laïcité », chronique de l’émission Europe Matin du 10 janvier 2018 (L’Edito d’Helene Jouan), qu’après avoir longtemps évité le sujet le Chef de l’État a annoncé un discours qui s’est finalement vu annuler. Dans « Laïcité : Macron contourne l’obstacle », paru le lendemain, Europe1 explique qu’une information du Canard Enchaîné, préalablement vérifiée, indique un refus du Chef de l’État de discourir sur la question. Pourtant, la laïcité était un des débats centraux, qui plus est un des sujets de discorde des présidentielles de 2017. Soucieux, les deux journaux s’accordent sur une volonté consciente du Président de la République de s’y soustraire.
D’autres inflexions se font jours. Si jusque-là Emanuel Macron n’avait parlé du principe républicain de laïcité que sous l’égide de la loi de 1905, voilà qu’à présent la presse lui associe l’expression de « laïcité ouverte » comme on peut le constater aussi bien dans l’article « Face aux représentants des religions, Emmanuel Macron s’inquiète d’une « radicalisation de la laïcité » » paru le 22 décembre 2017 dans Marianne que dans l’article « Emmanuel Macron dicte son tempo sur la laïcité « ouverte » » de L’Actualité Juive Hebdo, hebdomadaire de référence de la communauté juive de France, le 27 décembre 2017. Doit-on y voir une tentative d’affiliation avec la politique de son prédécesseur Nicolas Sarkozy, premier à avoir employé la laïcité affublée de cette épithète ambigüe ? La question reste à poser.
L’appellation « Islam de France » en elle-même peut laisser perplexe. Mais c’est surtout lorsque de Gérard Collomb, Ministre de l’Intérieur, on entendra parler d’ « imams de la République française » que l’on s’interrogera sur la tentative d’investissement politique du champ religieux. En effet, le paradoxe se pose là tout entier. D’autant que, d’après l’article « Macron veut réformer l’islam de France » paru le 11 février 2018 dans Les Echos, ce dernier s’est déclaré favorable à une intervention étatique. C’est d’ailleurs le parti de Florian Philippot qui s’en inquiètera, explique Le Monde, en rappelant qu’il ne « revient pas à la République laïque de structurer une religion ».
La neutralité de l’État, pilier de la laïcité française, veut que le gouvernement n’intervienne aucunement dans les affaires de la religion. Peut-on voir dans ce revirement une tentative de prise de contrôle là où la politique n’en a que peu ? La nomination d’un « grand imam de France » ayant une autorité morale sur le culte peut le laisser penser. Parallèlement, dans un contexte très différent, le projet de loi permettant de suspendre la diffusion de dites « Fake News » le peut également. Il fait d’ailleurs actuellement polémique en investissant l’État d’un pouvoir d’agir sur la presse au détriment de la liberté.
À cela s’ajoute le fait qu’une telle démarche laisse entendre la possibilité d’un financement public, contraire au principe évoqué pour le justifier. Cette éventualité est d’ailleurs envisagée dans « Laïcité : comment Macron veut réorganiser le culte musulman en France », Une politique de La Dépêche du 12 février 2018.
Pour finir, l’annonce d’une réforme de l’Islam laisse clairement entendre que le problème trouve son origine dans l’islam lui-même ; qu’il est, au moins en partie, responsable. D’autant que, selon l’article « Macron veut à son tour réformer l’islam de France » d’Abdourahmane, publié le 16 février 2018 sur le site d’information indépendant Médiapart, le Président de la République, dans la lignée du Président sortant François Hollande, a confié cette tâche à des intellectuels reconnus hostiles à l’égard de l’islam tel que Gilles Kepel. Collaboration corroborée par les chaînes de télévision BFMTV et France Info, le quotidien Le Monde et l’hebdomadaire le JDD pour ne citer qu’eux.
Marie JAUFFRET
Doctorante en Sciences de l’Information et de la Communication
CORHIS (EA 7400), Université Paul Valéry de Montpellier, France